L’enlèvement de l’Europe
3min -Lors d’un Comité de dialogue sectoriel européen pour le transport routier, un représentant de la Commission présente la stratégie pour une mobilité durable et intelligente (Sustainable and smart Mobility Strategy).
Manifestement, à horizon 2050, on va marcher sur l’eau. Des transports décarbonés à 95%, des transports routiers « 0 émission », des emplois intéressants, bien payés, intermodalités fluides, on en passe.
Et surtout, un maître mot : la résilience.
Les lecteurs assidus de la LTR savent que le prochain qui parle de « résilience » finit par la fenêtre…
Les auditeurs attentifs trouvent évidemment tout cela très bien. Que dire d’autre ?
Mais ils relèvent : on a déjà eu un « Livre Blanc » en 2001, une révision de celui-ci en 2005, un autre Livre Blanc en 2011. Les objectifs fixés n’ont pas été atteints (le ferroviaire devait progresser de 30%, mais au contraire il a régressé). Et loin de se remettre en question, on se fixe de nouveaux objectifs qui semblent difficilement atteignables alors même qu’on est encore en crise sanitaire et peut-être après en crise économique. En gros, on nous expose une vision, mais aucune stratégie.
Remarquez, nous les Français, nous n’avons rien à dire. L’objectif est 2040. Voire avant. Voire tout de suite. Sauf que cela n’est pas possible, les technologies de transition énergétique n’étant pas matures.
Affirmons-le tout net : nous sommes tous dans l’incantation et pas dans le réalisme. Et au niveau européen, on ferait mieux de se faire du souci.
Quand on voit maintenant toutes les restrictions et obligations qui pèsent sur les transports internationaux et sur les conducteurs routiers eux-mêmes, il y a de quoi s’arracher les cheveux. Tests obligatoires, inscription sur un site, modalités différentes pour entrer dans un pays par rapport au pays voisin, voire d’une région à l’autre, c’est le gymkhana.
Loin la doctrine dite des « Green Lanes », corridors verts européens où les transports routiers ne devraient pas connaitre les contraintes de tests et de quarantaine. Loin la période mars-avril 2020, où un conducteur qui devait aller en Italie, alors épicentre de l’épidémie, n’avait qu’à avoir un papier en poche disant en substance « moi pas malade ».
L’Europe sanitaire n’existe pas. Et elle n’existe toujours pas un an après le début de l’épisode COVID. Cette absence impacte tout le reste, jusqu’à réellement mettre en danger l’idée européenne.
Alors on peut voir, façon LSD, l’Europe de 2050. Si nous ne sommes pas collectivement capables de résoudre les problèmes qui se posent sur notre continent en 2021, ce n’est plus un Livre Blanc qu'il faudra, ce sont carrément de nouveaux traités.
En attendant, le risque est grand de voir tomber toute la bibliothèque. Un vieux livre s’ouvrira sur la légende de cette princesse, convoitée par ce vieux pervers de Zeus et qui fut enlevée aux siens pour, à la fin de l’histoire, fonder un autre royaume.
Florence Berthelot