Necesitas ser feliz
-Necesitas ser feliz
Un lecteur assidu de ces éditos a souvent mis en avant dans les commentaires sur les réseaux que nous pouvions redouter de connaître en France, en matière de transition énergétique, un scenario « à la cubaine ». Par-là, il évoque le fait que faute de moyens, nous serions tentés de faire durer nos vieux véhicules plutôt que d’en acheter des nouveaux. Ce que firent les Cubains à l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro en 1959. Touchée par les sanctions américaines, et dans l’impossibilité de faire autrement que de réparer à l’infini les voitures dont ils disposaient, Cuba est devenue le musée des vieilles bagnoles disparues depuis plus de 60 ans.
Si on se plaint de la situation économique en France, on fera bien de regarder vers la plus grande île des Caraïbes. Pénuries alimentaires, infrastructures dégradées, coupures d’électricité interminables et à répétition, malgré l’évolution politique et une certaine détente des sanctions internationales, le quotidien des Cubains est réellement difficile.
Cependant, comme en témoignent les classements internationaux plus ou moins fiables sur le niveau d’optimisme des populations, ce sont souvent les pays les moins aisés qui se situent dans les premiers rangs. À cela plusieurs explications, dont celle qui exprime que lorsque l’on n’a plus rien à perdre parce que l’on n’a rien, on a espoir d’avoir tout à gagner.
À la différence de notre pays, où ronchonner est un sport national. (Bon, objectivement il y a aussi des raisons à cela.)
La presse européenne se fait l’écho de cet artiste cubain de 27 ans qui depuis plusieurs mois recouvre les murs de la Havane de cette inscription « necesitas ser feliz ».
Les hispanophones ne tomberont pas dans le piège des Français qui ont fait Espagnol 2ème langue (dire que l’Allemand était réservé aux meilleurs élèves… pour ce que ça sert aujourd’hui…). La phrase ne veut pas dire « tu dois être heureux » mais « tu as besoin d’être heureux ». Ce qui n’est pas du tout la même chose. La première version est une injonction, la seconde, un constat dont il faut sans doute tirer les conséquences.
L’ironie est que l’auteur a pris comme pseudonyme le nom de Mr Sad, ce qui veut dire Monsieur Triste en anglais. La jeunesse havanaise a pris cette citation comme un étendard.
Si comparaison n’est pas raison, on voit mal un graffiti similaire sur les murs de Paris (ou d’une autre ville de France d’ailleurs). Soit parce que les graffitis, c’est moche et coûteux à nettoyer, soit surtout parce que les édiles pensent déjà nous rendre heureux à coups (notamment) de ZFE et de voies cyclables. De quoi vous plaignez-vous ?
On n’est pas bien, là, à vélo, sans ces voitures de pauvres qui viennent polluer notre air ? Ou sans ces affreux camions qui viennent nous livrer ce que l’on a commandé en ligne ? On n’est pas heureux comme ça en centre-ville au prix du mètre carré inaccessible, entre nos boutiques bio et nos restaurants vegans, nos ateliers de poterie et nos cours de yoga ? Sans nuance, dans le tout ou rien et surtout sans mixité sociale où l’inclusion n’est qu’un mot mais pas une réalité ?
Voilà pourquoi on ne verra pas de sitôt « Tu as besoin d’être heureux » sur nos murs.
Il y en a qui croient qu’on l’est déjà… Au pire, ils diront « sois heureux et tais-toi ».
(Silence)
Florence Berthelot