Pas libérée. Libre.
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Pas libérée. Libre.
En 1984, un chanteur ayant pour nom d’artiste Cookie Dingler (pff...) chantait : « Ne la laisse pas tomber elle est si fragile. Être une femme libérée tu sais c’est pas si facile... »
Un gros tube pour l’époque et avec le recul des paroles un peu ridicules notamment aux oreilles des femmes. Femme libérée… Que n’a-t-on entendu ? En 50, 60 ans nos sociétés ont été bouleversées par les évolutions du rôle, de la place et de l’apport de la femme. Je me souviens avoir presque perdu mon calme avec un monsieur brillant mais si docte me parlant de l’évolution de la « condition féminine ». Tellement années 70…
En un temps pas si lointain que nos filles n’ont – heureusement - pas eu à connaître, être une femme « libérée » voulait dire soit « elle a fait un bébé toute seule » (cf : Jean-Jacques Goldman), soit elle avait un amant différent tous les soirs dans son lit. Ou les deux.
C’était aussi la fille cliché des années 80. Working girl (incarnée par Mélanie Griffith) en veste à épaulettes démesurées, indépendante, assumée. Mais fleur bleue quand même, cherchant le partenaire parfait (c’était Antonio Banderas évidemment, mais pas dans le même film).
Bridget Jones avait un boulevard devant elle (franchement comment choisir entre Colin Firth et Hugh Grant, c’est infernal !).
C’était oublier un peu vite toutes nos mères, tantes, amies, sœurs qui se sont battues de façon acharnée pour des choses qui semblent évidentes aujourd’hui : la contraception, l’avortement, le droit d’avoir son propre compte bancaire (1965) et le droit de divorcer (1975). Et surtout pour ne pas être définie seulement en tant que mères, épouses, sœurs mais en tant qu’elles-mêmes.
En 1984, Maurice Voiron devenait Président de la FNTR. Face à lui, une femme perdit ce combat. Il s’agissait de Sabine Schermann que j’ai eu le grand honneur de connaître et qui porta haut et clair d’abord le transport et pas loin derrière l’image de la femme dans le transport. Grande gueule, investie, et entièrement dévouée à la cause, je pense souvent à elle tant je m’y reconnais. Comme beaucoup de femmes aujourd’hui dans le transport et pour certaines, sans le savoir.
Aujourd’hui, la FNTR est présidée par une femme et une autre en est la déléguée générale. En plus, les deux se prénomment Florence. Rajoutons-y trois autres femmes dans le Conseil de Direction. C’est la bombe atomique. (Sabine doit bien rigoler.)
Pas parce que nous sommes des femmes. Un peu, mais pas que…
Parce que c’est un parcours. Une accumulation de détours, de hasards, de rencontres et ensuite d’évidences. Et surtout parce que notre époque et notre société l’ont permis (ce n’est pas le cas partout dans le monde, loin de là). Et en chemin, tout comme pour les hommes, de très nombreux sacrifices.
Un soir, j’ai pris le bus avec une femme avec laquelle je n’ai conversé qu’une heure mais dont jusqu’à mon dernier souffle, je n’oublierai jamais la conversation.
Âgée, un peu chancelante au point qu’elle s’appuyait sur sa canne, elle me racontait qu’elle était à la retraite mais qu’elle donnait des cours de maths en banlieue à des jeunes en difficulté.
Elle me parla des combats féministes des années 60-70. Elle me raconta les soirées « bananes-whisky » où les copines venaient pleurer sur le lit de leurs combats et aussi de leurs amours déçues en mangeant des bananes et en se saoulant aux alcools forts. C’était la dèche.
Elle me parla de sa désolation de voir, ici ou là, certaines jeunes femmes aujourd’hui, n’avoir pour ambition que d’arrêter leurs études, et de se dépêcher de trouver un mari pour se caser et se ranger.
Je me souviens de son exclamation « Ma petite, je ne me suis pas battue pour que la femme devienne autonome et indépendante pour que tu viennes tout me gâcher aujourd’hui parce que tu as le béguin pour un garçon ! ».
Ce qui n’était pas une injonction à la solitude mais l’illustration d’un principe : l’indépendance se gagne, le partenaire se choisit.
Je me souviens de son émotion quand en la quittant (je n’ai jamais su son nom) elle m’a serré très fort la main quand je lui ai dit que de très nombreuses autres femmes poursuivaient son combat et qu’elle devait en être fière…
Sans la ramener, juste comme ça. Ni libérée, ni délivrée.
Juste libre.
Voilà ce que l’on peut écrire à l’aube d’un nouveau 8 mars, où l’on va nous faire du si politiquement correct sur la Journée internationale des droits des femmes.
Tout est dit et rien à la fois.
Cookie Dingler, c’est vraiment nul comme nom d’artiste.
Il n’y a qu’une vérité dans sa chanson : cette femme libre, ne la laisse pas tomber.
Florence Berthelot