Plateformes
2min -Dans son roman intitulé « Plateforme », Michel Houellebecq écrit cette phrase terrible : « Tout peut arriver dans la vie, et surtout rien. »
(Y a pas à dire, on a des lettres dans le transport routier...)
Cependant, cette phrase s’avère totalement d’actualité au regard des élections professionnelles chez les travailleurs des plateformes notamment livreurs et VTC.
Il y a quelques années, le législateur a clairement refusé de considérer ces travailleurs comme des salariés et n’a donc pas jugé utile de les rattacher à une convention collective.
Partant du principe qu’il s’agirait donc de travailleurs indépendants, mais avec néanmoins un statut particulier, une sorte de novation juridique a été mise en place : en gros, ces travailleurs ont été invités à désigner des représentants « syndicaux » afin de réguler une sorte de dialogue social avec lesdites plateformes dont certaines au nom bien connu de ceux qui veulent se faire livrer ou transporter façon « start up nation ».
La chose était si nouvelle qu’une autorité spécifique a été mise en place : l’ARPE (Autorité de régulation des plateformes d’emploi) et qu’elle a été chargée d’organiser ces élections par voie électronique. Ces « élections » ont été organisées du 9 au 16 mai. Tout cela fut très sérieusement fait. Ce n’était manifestement pas de la flûte. En lice, tant des organisations syndicales de salariés que des organisations professionnelles représentant des entreprises.
Si les médias se sont fait le relais de ce processus électoral inédit, et si des avatars ont émaillé celui-ci (une contestation a été portée en justice) les résultats ont mis en exergue… une très faible participation. Qu’on en juge : 3.91% de participation chez les VTC, et 1.83% chez les livreurs.
On peut tourner cela dans tous les sens : c’est un fiasco complet. Arrivent en tête des organisations représentant les micro-entreprises. Cette situation a de quoi singulièrement interroger.
Qui sont ces « travailleurs » ? Des salariés déguisés parfois, des étudiants souvent, des personnes qui en tous cas n’ont pas l’intention de faire de cette activité, ni un travail permanent, ni un métier. Pourtant les exemples sont nombreux de conditions de travail surréalistes, de prix à la course trop bas, d’une absence totale de protection sociale.
Au lieu de prendre le problème par une régulation volontariste et claire, on a voulu en même temps prétendre qu’il s’agissait d’auto-entrepreneuriat tout en y ajoutant une dose de représentation syndicale.
Et sous couvert d’apporter une solution, on ne fait qu’ajouter aux problèmes. Il est évident que la copie est totalement à revoir. Et faire de l’innovation juridique sur une situation qui aurait pu, qui aurait dû être traitée autrement, s’avère bien malheureux.
C’est encore raté pour le « monde d’après ». Houellebecq pendant le premier confinement écrivit une lettre publique qui se terminait par une de ses formules au vitriol : « nous ne nous réveillerons pas, après le premier confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire ».
Florence Berthelot