Premiers de la classe
-Dans les précédents éditos, relatant les réunions relatives à la « décarbonation », il a été fait souvent état du concept de « sobriété énergétique » longuement présentée par les autorités françaises comme un des leviers de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En gros, il faut changer les motorisations, faire du report modal, repenser les organisations mais également consommer moins d’énergie.
L’équation et les objectifs sont ambitieux. Il faudrait réduire notre consommation d’énergie d’au moins 10% d’ici à 2030 et de 40% d’ici à 2050… tout en électrifiant massivement la mobilité, le chauffage etc…
Le media Euractiv a publié un article très intéressant sur le sujet, le 3 juin, qui est consultable en ligne. La directive européenne qui évoque ces pourcentages est en réalité une directive sur « l’efficacité énergétique ». Pas sur la sobriété.
En fait la France est actuellement le seul pays en Europe à porter ce concept. La nuance est de taille. L’exemple donné est assez parlant. L’efficacité énergétique c’est quand on remplace une voiture thermique par une voiture électrique. La sobriété c’est quand on remplace le véhicule thermique par le vélo.
La notion de sobriété a réellement surgi après la crise énergétique issue du conflit en Ukraine. Il fallait de toute urgence envisager de réduire nos consommations de pétrole et de gaz de crainte d’une tension de la demande et d’un risque de pénurie.
Mais là où tous les autres pays européens ont considéré que ces économies ne devaient être que temporaires, la France l’a inscrit comme une démarche structurelle incontournable pour atteindre les objectifs de réduction des émissions.
Même si des travaux sont menés au niveau de l’Union européenne dans cette direction, la réalité est que la France est assez isolée (pour l’instant) dans la promotion de cette fameuse « sobriété ». Peut-être parce qu’elle parait assez antinomique avec la notion de « croissance verte », ou de l’idée qu’on pourrait faire autant (voire plus) avec moins.
On ne sait pas trop si on doit se réjouir ou non de cet isolement qu’on pourrait qualifier d’un côté de « leadership » mais aussi, de l’autre, d’une certaine obstination.
Seul l’avenir le dira.
Mais qu’il nous soit permis, dans le secteur du transport routier, de témoigner d’une amère expérience, dans un domaine différent, mais qui peut être mis en parallèle.
Dans les années 1990, la France a engagé une vaste refonte de sa réglementation du secteur pour une meilleure régulation. Cela s’appelait « le Contrat de progrès ». Tous les aspects furent abordés : économie, technique et social. Sur ce dernier point ont été bâtis les modalités de formation initiale et continue que nous connaissons aujourd’hui, le temps de service et la notion de « transparence des temps de travail » des conducteurs, le chronotachygraphe permettant d’établir la feuille de paie des conducteurs.
Il s’agissait d’avancées considérables. Que nous, français, avons été les premiers à mettre en place. A l’époque, il avait été promis par le Gouvernement que ce nouveau modèle serait exporté en Europe.
Cela n’est jamais arrivé. Et même s’il ne s’agit pas de regretter d’une quelconque façon ce qui a été fait, il n’en demeure pas moins que notre attitude de « premier de la classe » a lourdement handicapé notre compétitivité européenne.
Gardons-nous de refaire les mêmes erreurs même sous l’alibi du « bien ».
Les premiers de la classe ne sont pas forcément ceux qui réussissent le mieux ultérieurement.
Florence Berthelot