Sourde oreille
2min -Pour cette réunion, on a tombé les masques. Pour que nos interlocuteurs puissent lire sur nos lèvres. Eux s’expriment en langue des signes qu’une interprète nous traduit. Eux ? Ce sont les représentants de la Fédération Nationale des sourds de France qui nous expliquent leur initiative « permis pour tous ». L’un est conducteur de car scolaire et l’autre conducteur dans le transport de marchandises. Leur combat ? Changer la réglementation pour que la surdité ou la malentendance ne soient plus considérées comme un obstacle par la plupart des médecines du travail pour accéder à ces professions de conduite qu’ils aiment passionnément. En réalité, nul besoin de nous convaincre. Cela fait plusieurs années que nous sommes convaincus de la légitimité de ce combat. Plusieurs entreprises emploient des conducteurs sourds, ont mis en place des dispositifs adaptés (systèmes lumineux ou vibratoires) dans les camions et dans les locaux, et se sont toujours félicitées du professionnalisme de ces conducteurs. Mais ils vivent la peur au ventre. Non pas sur la route, non pas dans leur entreprise, mais parce qu’ils redoutent la prochaine visite médicale ! La loterie de tomber sur un médecin qui les déclarera inaptes sans vraiment chercher ou discuter. La peur du chômage. La peur d’être réduits à ce qu’ils refusent à raison de considérer comme un handicap. Les poids des préjugés. Nous allons aider sans réserve. Nous allons participer à faire changer cela, à sensibiliser les médecines du travail, les autorités en charge de la réglementation et de la sécurité routière. Faire ouvrir les yeux, les yeux fermés, sans le moindre doute ou la moindre réticence. Montrer comment ça se passe dans d’autres pays européens, plus avancés. Les mentalités doivent changer, les idées reçues doivent tomber. Ceux qui souffrent de ce que l’on appelle improprement un « déficit » ne sont pas ceux que l’on croit. Le bon sens populaire l’exprime depuis longtemps : il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Florence Berthelot