Températures ressenties

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Températures ressenties

Commençons par une histoire amusante. Un patient explique au médecin qu’il a mal partout. Avec son doigt il touche sa tête, son bras, son torse, ses jambes en égrenant « J’ai mal ici, et ici, et encore là ». A la fin de la consultation, le médecin lui répond « Vous avez le doigt cassé ».

Dans un même ordre d’idées, il semble qu’aujourd’hui la mode est aux « sentiments ». Ainsi, il n’y aurait pas vraiment plus d’insécurité, mais un « sentiment d’insécurité ». De même, il n’y aurait pas de perte de pouvoir d’achat mais « un sentiment de perte de pouvoir d’achat ». Et les experts de vous expliquer que vous percevez tout de travers et que les « chiffres démontrent » que l’insécurité a diminué et que le pouvoir d’achat a augmenté.

Le problème c’est qu’on peut faire dire à peu près n’importe quoi aux chiffres y compris l’inverse de ce que les gens « ressentent ».

Le concept de « température ressentie par rapport à la température réelle » issue de cette science si exacte qu’est la météo semble déborder sur d’autres champs tels que celui de l’économie. Vous pensez qu’il fait 10 degrés, alors que « sous abri », on vous démontre par A+B que c’est quasi la canicule. Il faudrait quand même se demander si le thermomètre n’est pas un peu cassé.

Ainsi, sur l’inflation, nos fameux experts affichent fin septembre une hausse des prix de +2.1%. Au niveau des ménages et des professionnels, on reste dubitatifs. La baguette de pain se prend 15 centimes de plus, les pâtes entre 30 et 50%, et il en est de même pour de nombreux produits de première nécessité. Pour masquer le problème, de petits malins réduisent les conditionnements et le poids des denrées pour afficher le même prix.

Chez les transporteurs en un an, le carburant a pris 28%, le gaz 50%, l’AD Blue entre 70 et 100%. Et sans ces produits, les camions ne roulent pas. Ajoutez-y les délais à rallonge de livraison des véhicules neufs (et encore sans tout l’électronique), les pneus, les équipements divers, les assurances. Sans parler des salaires réclamés par des personnels qui voient tous leurs factures augmenter aussi.

Non seulement les prix flambent mais des pénuries se font jour sur les matières premières, les semi-conducteurs, et aussi sur les produits finis tels que les jouets. (« Les gamins, cette année le Père Noël va vous apporter une orange…c’est si vintage ! »).

Mais, obstinément, on nous serine que l’inflation n’est que de 2,1%. En France. Parce qu’ailleurs et notamment dans la zone Euro c’est 3,4%, et aux Etats-Unis, 5,8%. Le syndrome du nuage de Tchernobyl a encore frappé…

Et puis, paraît-il, ce n’est que « temporaire ». Enfin…on n’en est pas sûrs, mais c’est ce qu’il faut dire pour n’affoler personne.

Les explications sont multiples et souvent cumulatives : forte reprise post-crise sanitaire, engorgement du transport maritime, mauvaises récoltes.

Finalement peu importe. Vous pensez que l’inflation est très forte alors qu’elle ne le serait pas tant que cela. Quittez vos sentiments et vos ressentis et revenez à la raison !

Un peu de réalité nous ferait quand même un peu de bien. Parce qu’afficher des statistiques radicalement en contradiction avec ce que chacun peut voir et éprouver, cela nous fait, à tous, une belle jambe. Et ce n’est peut-être pas le doigt qui est cassé en fait, mais la jambe elle-même.

Florence Berthelot

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