Une pierre dans son Jardin

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Alexandre Jardin est un auteur contemporain d’une grande prolixité. Déjà célèbre à 20 ans et couronné à 23 ans par le prix Femina, il a longtemps fait son miel des relations amoureuses, semées de tempêtes et de retrouvailles. On aime ou pas.

Le fait est qu’il est ce qu’on appelle un écrivain célèbre. Socialement, il se revendique comme appartenant à la bourgeoisie citadine parisienne, sans être réellement un bobo. C’est nécessairement une personnalité publique dont la carrière a pris un détour inattendu car elle a traversé les zones à faibles émissions et a pris pour étendard un hashtag à savoir #Gueux (ce qui se dit « hashtag gueux »).

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les réseaux sociaux, un hashtag vous permet d’afficher un thème sur vos publications et de regrouper ensuite tous les messages sur le même thème.

Dans une interview donnée à un célèbre journaliste canadien et que l’on retrouvera sur YouTruc, après quelques considérations sur la notion de mensonge (sujet inépuisable), Alexandre Jardin explique comment, presque par hasard, il apprend le 31 décembre qu’à partir du lendemain, les habitants de son village ne pourront plus se rendre dans la grande ville voisine en raison de l’instauration d’une ZFE. Stupéfait, il publie un message sur les réseaux avec le fameux #Gueux.

Le lendemain, en ouvrant son téléphone, il constate que le message avait été repris plus d’un demi-million de fois.

À ce stade, on peut se dire que quand c’est la bonne personne, le bon moment, le bon timing, cela fonctionne. Mais sinon, non.

Parce que quand même dans le transport routier de marchandises, cela fait des années que l’on dénonce le principe des ZFE, leur incohérence, la disparité de l’une à l’autre et le fait que cela va chasser les populations les plus modestes des centres-villes. Oui, on a aussi utilisé le terme de « gueux » en notant d’ailleurs que si les municipalités devaient aller au bout de la logique, on exclurait tous les commerçants des marchés ouverts car ils utilisent des camions déjà anciens. On a demandé des reports, des décrets. On nous a opposé la qualité de l’air, la santé publique. Bref, nous étions (une fois de plus) « les méchants transporteurs » face au camp du « Bien ».

Sauf que Alexandre Jardin qui s’empare du dossier, qui fait le tour des plateaux télés, qui explique que ce sont 16 millions de personnes qui seront boutées hors des villes, et qu’en outre, il en tire l’inévitable analyse sociologique cruelle qui s’impose, c’est une autre chanson. Décrivant plusieurs situations personnelles ou professionnelles où des citoyens ne pouvant pas se payer une voiture à 30 000 euros ne vont trouver aucune solution, il anticipe des mouvements de rébellion, voire de révolte.

Pour certains, tout ce qu’il dit, on le savait, on l’a vécu. Mais comme cela parle des vrais gens, alors cela devient audible.

Les maires, invités à répondre, se défilent. Les associations écolos ont baissé de trois tons, et les quelques représentants bon teint des bobos en question paraissent, brutalement, totalement décalés.

Une cheffe d’entreprise du transport qui recevait récemment le maire de sa commune s’est même entendue dire « Oui, cette histoire de ZFE m’ennuie beaucoup... » (il n’a pas utilisé le terme « ennuyer ») et c’est là que l’on a envie de lui dire « Ben ne le fais pas ! ».

En tous cas, soudainement, il n’y a plus grand monde pour défendre la chose. On appréciera au passage ces dérogations à raison de 12 ou 24 par an, déjà intitulées « pass gueux » permettant aux édiles dans

leur magnanimité de tolérer que le pauvre puisse venir salir les beaux quartiers de sa présence, en cas d’extrême nécessité.

Comment tout cela va-t-il finir ? Personne ne le sait vraiment. Entre ceux qui croient à un retour des Gilets Jaunes, ceux qui tablent sur l’inertie, ceux qui veulent faire évoluer la démocratie, changer de République, ou repenser le modèle social, s’il y a accord sur le constat, il n’est pas certain qu’il y ait accord sur les solutions.

Nous, on veut seulement pouvoir travailler.

Florence Berthelot 

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