Les moissons du fiel

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Les moissons du fiel

Le seigneur a besoin de blé. Les champs s’étendent à perte de vue sous le soleil de juin. Le grain n’est pas tout à fait mûr, et les épis sont encore trop verts. Mais justement, le blé vert est dans l’air du temps. Il ne faut pas que les épis ne jaunissent trop vite et crépitent dans le vent du sud. Alors les faux et les faucilles s’activent avant juillet, plus tôt que d’habitude. Le seigneur de la terre s’impatiente « Il nous faut du blé, toujours plus de blé ! ». Le train de vie des fiefs est bien coûteux. La chaleur accable les plaines. Seulement, les serfs n’en peuvent plus. Écrasés par le « cens » et le « champart » (le loyer de la terre), inquiets à l’approche de la hausse des « aides » (taxes sur le transport de marchandises), et globalement par ce que l’on nomme improprement les « banalités » (les impôts de toutes sortes), l’extension de la « taille » vient désespérer les exploitants.

Chaque année, ce que l’on veut bien leur laisser de leur propre récolte s’étiole comme peau de chagrin. Tout en leur demandant de produire plus. Mais comment pourront-ils semer pour l’année prochaine s’il y a moins de semences ? Comment faire vivre la famille, le village, le canton ? Comment payer le saisonnier alors que justement le seigneur insatiable a décidé qu’il fallait aussi le taxer car il ne travaille qu’à la journée ? Faudra-t-il toujours se priver de pain pour alimenter le château ? Et qu’arrivera-t-il si un jour la récolte est mauvaise ? En bord de champ, à l’ombre, les vassaux observent et se plaignent du foin qui vole, qui salit leurs beaux atours et les empêche de respirer.

A la pression des taxes, s’ajoute le mépris. C’est trop. Il suffit maintenant de très peu pour que les serfs posent leurs outils à terre et rentrent chez eux, abandonnant les champs. Le grain grillera. La moisson ne se fera pas. Les moulins ne tourneront plus. Et s’il n’y a plus de quoi faire le pain, la seigneurie n’en aura pas non plus. Car à affamer ceux qui nourrissent, c’est le pays entier qui mourra de faim. Mais ceci n’est que la version douce d’une histoire qui pourrait en fait beaucoup plus mal finir. Sachons tirer les enseignements de l’histoire.

Florence Berthelot

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