Ruptude de carburant : fais-moi un tour...
3min -Dès lors que les automobilistes ont pu prendre du carburant sans attendre trop longtemps, il a semblé que la crise avait été résolue. Que les entreprises de transport soient à courir après la moindre goutte de gazole, certaines depuis la mi-mai, que les pétroliers ne les aient pas servis en priorité, tant en cuve que par les réseaux professionnels, tout le monde s’en fiche. On a pu assister, dans les ministères, à des réunions surréalistes, où on parlait des stocks de pétrole, des dépôts de carburant, des raffineries, entre gens de bonne compagnie. D’ailleurs, on ne dit pas le pétrole, on dit « le produit ». Les transporteurs, invités de la onzième heure, étaient assis sur un strapontin. Ils ont levé la voix, en rappelant un fait tout simple. Sans nous, vous pourrez avoir tous les stocks que vous voulez, vous ne pourrez pas livrer le carburant dans les stations, et nous, nous ne pourrons plus rien livrer du tout. La réalité, c’est que les entreprises font des prodiges pour éviter la paralysie du pays. Un relèvement de sourcil, un éclair dans les yeux, et l’on constatait, sans que cela soit vraiment dit, « ah oui... c’est vrai... les transporteurs... ».
Cela pourrait être désespérant. En réalité, on fait tellement bien notre boulot que cela parait naturel. Personne ne se pose la question. Les choses doivent arriver par magie dans les usines, dans les supermarchés, partout... Mais nous sommes les magiciens ! Des tours, des tournées, c’est notre travail quotidien. D’ailleurs, tout le problème ces derniers jours c’est que, là où on pouvait faire quatre rotations, on ne pouvait plus en faire qu’une ou deux, du fait des temps d’attente, des blocages, des pénuries de carburant. Il y a de quoi tirer de sacrées leçons. Personne ne sait vraiment ce que nous faisons, alors que notre activité est essentielle à l’économie.
D’ailleurs, les politiques ne connaissent que la valeur stratégique du « produit » et pas la valeur stratégique du transport qui l’achemine. On parle de taxes, de réchauffement climatique, de pollution et autres choses. Mais jamais de notre rôle central. Ce message il va falloir le répéter, le répéter partout, encore et encore. On dit souvent que nous sommes la cinquième roue du carrosse. Sauf qu’en réalité nous sommes l’essieu porteur.
Florence Berthelot